Alexandra a réalisé un parcours académique 100% juridique dans le but de devenir avocate. Mais suite à l’obtention de son diplôme, elle change de voie. Après avoir occupé le poste de journaliste puis de responsable éditoriale au sein du Magazine Décideurs, elle décide de lancer sa boîte et crée Shaker.
Aujourd’hui, elle aide les organisations, de l’école à l’entreprise, à devenir des lieux de développement de soi et du collectif. Elle nous parle de ses projets en cours et à venir.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre parcours académique ? Quel était votre rapport avec les études ?
Après l’obtention de mon bac, j’ai intégré une fac de droit. En parallèle, j’étais également en classe préparatoire ENS CACHAN. Ensuite, j’ai réalisé un magistère en droit des affaires et j’ai terminé avec l’école d’avocat.
Comme beaucoup d’étudiants, mes choix étaient motivés par le besoin de sécurité, la volonté d’acquérir un statut social, l’envie d’avoir une rémunération confortable… Je réfléchissais par mimétisme, influencée par mon environnement. Qu’il s’agisse du lycée, des proches ou des spécialistes de l’orientation, les conseils sont davantage tournés vers la recherche de débouchés sûrs que celle de sa propre voie.
J’étais une bonne élève même si j’ai toujours été plutôt du genre à réviser à la dernière minute.
Après avoir suivi un parcours juridique, comment êtes-vous devenue fondatrice de Shaker ?
Le parcours professionnel que j’ai suivi a été un moteur dans la création de mon agence.
D’abord, au cours de mes études et suite à mon stage final, on m’a proposé une collaboration dans un grand cabinet d’affaires. Je l’ai refusée car je ne me projetais plus dans cette profession. J’avais l’intuition que je n’y serai pas épanouie. Le sentiment que je n’étais pas à ma place, en faisant de l’administratif de luxe et en participant à faire respecter des règles. C’est un métier utile mais ce n’était pas la façon dont je voulais contribuer à la société.
Au cours d’autres expériences, j’ai eu l’occasion de découvrir différents domaines notamment dans la formation professionnelle et dans le journalisme.
Et alors que j’hésitais à accepter la collaboration en tant qu’avocate, je suis tombée sur mon rédacteur en chef chez qui j’avais réalisé un stage et il m’a proposé un poste au sein du Magazine Décideurs. J’ai fait confiance à l’alignement des planètes en acceptant. J’y ai travaillé pendant trois ans en tant que journaliste puis responsable éditoriale sur les sujets d’éducation, de management, de ressources humaines…
Ainsi, j’ai pu développer une expertise et un réseau de DRH, de directeurs de formation et d’influenceurs sur ces thématiques.
Cette entreprise a évolué très vite car nous collaborions avec de plus en plus de start-up. Nous passions du modèle de petite entreprise avec des modes de travail en transversalité à un modèle en silos. J’observais que les collaborateurs se désengageaient et que la transformation de l’entreprise n’avait pas de sens pour eux.
C’est pourquoi j’ai proposé au fondateur, avec une autre collaboratrice, Sophie, d’initier un laboratoire d’innovation collaborative. Il permettra aux collaborateurs de proposer des projets innovants à développer en interne, quel que soit leur métier ou leur statut. Ce fut l’occasion pour moi de me former aux méthodes d’innovation collaborative, aux modes de gouvernance partagée et à toutes les compétences que j’utilise aujourd’hui.
Le but était que les collaborateurs participent à la transformation de l’entreprise et aussi qu’ils puissent faire émerger des produits innovants à partir de leurs idées, de leur élan créatif.
L’animation de ce laboratoire me prenait environ 20% de mon temps et le reste était toujours consacré à mon poste de responsable éditoriale.
Mon réseau me posait beaucoup de questions sur ce projet. Face à cet intérêt, j’ai créé mon agence avec mon associée Iris il y a quatre ans : Shaker. Elle aide les organisations, de l’école à l’entreprise, à devenir des lieux de développement du soi et du collectif.
Shaker a trois activités :
- accompagner les organisations à impliquer les collaborateurs dans leur transformations, pour donner du sens et engager
- diffuser l’intrapreneuriat
- et former les individus et les collectifs à la créativité, la coopération, la relation, la connaissance de soi… Ces compétences comportementales (ou soft-skills) qu’on n’apprend nulle part et qui sont pourtant clé pour se développer.
Je travaille aujourd’hui avec une dizaine de consultants indépendants. Ils ont différentes spécialités : design-thinking, facilitation, psychologie, management sain, experts en neurosciences, game-designer… En effet, je crois à ce modèle de collectif d’entrepreneurs. Notre rapport au travail, surtout dans les activités de services et de conseil, ne nécessite pas de lien de subordination pour avoir envie de travailler ensemble sur des projets qui ont du sens.
Pourquoi avoir fait ce choix de carrière ? Quelles ont été vos motivations pour y parvenir ?
Ma trajectoire professionnelle est inspirée de cette volonté de rendre le système intelligent. J’en ai pris conscience lorsque j’ai fait le programme d’accélération Ticket for change qui m’a aidé à aligner mon projet d’entreprise avec ce que j’étais. J’ai créé une activité car j’ai identifié qu’il y avait des besoins, des blocages dans mon parcours en tant qu’étudiante, en tant que salariée… Les problèmes que l’on rencontre en entreprise : difficultés à collaborer, absence d’espace de créativité, cloisonnements entre départements, management par le contrôle se figent dès l’école. Dans l’enseignement déjà, il existe une porosité entre les disciplines. Les enseignants sont des sachants qui notent et sanctionnent et non des facilitateurs. Il n’y a pas de place pour le sens et la mise en perspective de ce qui est tissé ensemble…
Je me suis donc demandé comment j’allais créer une proposition de valeur qui ait un impact sur l’ensemble des maillons de la chaîne, à mon échelle.
Est-ce que vous pouvez nous raconter une journée type dans votre travail ?
Une journée type dans mon travail n’existe pas et c’est pour ça que j’aime ce que je fais.
Un jour, j’anime un atelier avec une communauté d’intrapreneurs multiculturels. Je les aide à réfléchir à comment diffuser l’esprit intrapreneurial dans un groupe de milliers de personnes. Le lendemain, je donne une conférence sur le sujet “Sommes-nous tous créatifs ? ». Puis, j’anime une formation sur le management sain pour une PME. Et enfin, la semaine d’après, je donne une formation à destination d’étudiants en Master 2 pour les aider à développer leur créativité, inventer un prototype de vie, savoir travailler en collectif… Mes clients sont des grandes ou des moyennes entreprises, tous secteurs confondus, des écoles et universités partout en France. Les sujets que j’adresse avec Shaker concernent tout type d’organisations.
Je me suis également rendue compte que j’avais envie de partager ces approches sur des territoires plus précaires. J’ai donc co-fondé l’association Les Fabrikateurs avec Enora et Pauline. Nous réalisons des ateliers d’intelligence collective sur des zones prioritaires en explorant des problèmes sociaux tels que l’éducation, l’écologie, la place des femmes avec les acteurs du territoire… L’idée est de rassembler les habitants, les enseignants, les acteurs publics pour impulser des actions citoyennes et positives localement. Nous avons déployé ces programmes à Saint-Ouen et Epinay sur seine. Malgré la situation sanitaire, certains projets avancent à grands pas. Par exemple, une des thématiques explorée sur le territoire d’Epinay était : Comment aider les parents à accompagner leurs enfants sujets à troubles du comportements ? Grâce aux ateliers, un kit est en création. Il a pour but de sensibiliser aux bonnes postures à adopter. En plus, des conférences avec des spécialistes du sujet sont en cours d’organisation.
Où vous voyez-vous à moyen/long terme ? Quelle(s) évolutions pour votre job, vos missions ? Des projets en cours ?
Je me suis rendue compte que, lorsque je facilite des groupes et les aide à mieux fonctionner ensemble, les blocages psychologiques, les croyances, le rapport à l’égo ont un rôle central. Pour aider à explorer sainement ces sujets, je me forme depuis un an à une approche thérapeuthique la Gestalt.
Elle m’aide à comprendre la dynamique du groupe et à mettre de la conscience collective sur les blocages.
C’est une direction que j’ai envie de donner à mes missions et à mon job.
Ensuite, l’autre nouveau projet est de créer une passerelle entre les artistes et les organisations, les écoles, la cité… Un regard créatif peut participer à inventer de nouveaux récits pour notre société.
C’est pourquoi j’ai co-fondé l’association Nouvel œil avec Gabriel dont la mission est l’émergence créative. Elle a trois activités : l’incubation d’artistes, l’imagination d’expériences inspirantes par et avec des artistes, et l’apprenance créative où nous accompagnons des collectifs et des individus à se reconnecter à cet élan qu’est la création.
Je suis également membre du conseil d’administration de l’association Enseignants de la transition au sein de laquelle nous œuvrons pour que les enseignants qui utilisent leur rôle au service de la transition coopèrent et mutualisent leurs actions. Pour ma part, les disciplines que j’enseigne telles que la créativité, la capacité à résoudre des problèmes, la capacité à coopérer en intelligence collective, l’invitation à réfléchir tôt à comment on veut, en tant qu’étudiant, contribuer au monde qui nous entoure, sont importantes pour outiller les prochaines générations à construire cette transition.
Pour terminer, avez-vous un conseil à nous donner ?
Je partage souvent la citation de Michel Foucault “Faites de votre vie une œuvre d’art”. Elle a beaucoup raisonné en moi. Pour ma part, je suis carrément passé du monochrome à l’art abstrait s’agissant de mon rapport au travail ! Il est important de répondre à ce qui vous appelle même si vous vous trompez au début, on apprend de nos erreurs. Nos trajectoires professionnelles se modèlent en vivant l’expérience du “faire”. Une vie peut avoir plusieurs formes et c’est ça qui est marrant !
